Un livre, meussieu, quessqueçé?

Alors que Monthey détruit son centre ville, que Sion s’apprête à poursuivre son œuvre de destruction en jetant à bas le Vieux Moulin et toutes ces sortes de (vieilles) choses, je lance un rot retentissant et, la bière posée sur le bide, je vous contemple désespéré, ô vous mes frères humains (qui en même temps que moi vivez).

Vivrai-je assez longtemps pour voir sur le trottoir une Porsche Cayenne bradée à 400.- francs par un trader ruiné ?

(Veuillez noter que Boris, qui à l’époque était trop jeune pour acheter l’auto, a quand même réussi à piquer au monsieur son chapeau-boule. « Merci à Dieu d’avoir créé les chapeaux-boule »)

Vivrai-je assez longtemps pour voir les couloirs des centres commerciaux de Sierre, de Martigny, de Monthey et de Sion se décrépir, tomber en ruine, suinter le salpêtre et puer le vieux pipi ? Avec des herbes folles un peu aussi et des vieux en guenilles style genre Céline échappé de Meudon errer en hurlant comme des spectres, dedans les couloirs ? Hein ?

Vivrai-je assez longtemps pour connaître le litre de tazoute à 10 balles?

Vivrai-je assez longtemps pour voir frappé de sénilité précoce cette vieille merde de spéculateur de mes couilles cet architecte qui attend la ruine des maisons Art Déco du Chanoine-Berchtold pour se faire un gros profit bien gras ? On m’a dit qu’il était fils d’un artiste, je ne peux pas le croire. Ou alors c’est le fils d’Arno Breker, peut-être, qui est au monde des artistes ce que je suis au clergé : un pas grand chose.

Vivrai-je assez longtemps pour faire lire Sous l’œil des barbares à tous ceux qui croient que je parle de Maurice Barras quand j’aborde le Culte du Moi ?

Vivrai-je assez longtemps pour voir Philippe Nantermod à La Liseuse? Ah oui, car le 11 mars prochain, il vous faudra choisir entre payer vos Quatre accords toltèques 5,50 CHF sur les gondoles de Maxi-Bazar et dénicher Scènes de la vie d’un faune d’Arno Schmidt dans la nouvelle traduction parue chez Tristram (à 34,70 CHF) chez votre libraire qui fait un vrai métier de libraire. Parce que Nantermod, il a raison, Maxi-Bazar il pourra faire des monstres rabais sur Allen Carr, ou sur Guérir le cancer du cordonnier mal chaussé de Servan-Schreiber, parce qu’il les achètera par palettes entières, ses bouquins. Ce qu’il n’explique pas, Philippe, c’est qu’on ne trouvera jamais Cioran chez Maxi-Bazar. Et c’est justement pour pouvoir continuer à trouver Cioran à La Liseuse que tout le monde doit y aller, même (et surtout) pour acheter le Da Vinci Code.

Ce qui me désole, dans cette histoire, c’est que je suis d’accord avec Chantal Balet. Au moins, elle, elle sait ce que c’est qu’un livre. Pas comme Frédéric Lefèbvre Philippe Nantermod qui ne voit que sa petite économie ridicule réalisée sur le dernier manuel de droit pour les Nuls.

La Suisse a mis 26 ans pour s’apercevoir que donner le droit de vote aux femmes n’avait pas conduit la France au chaos (quoique mai 68, quand j’y pense, c’est pas un truc eud’gonzesses?); elle a eu besoin de 30 ans pour offrir au livre un prix unique (car je ne désespère pas totalement de mes frères). Il y a aussi une solution, Philippe Nantermod : un livre unique. Comme ça on règle tous ces problèmes d’intellos à la con.

Becs

Orgel, « vous avez les fourberies d’escarpin? » « non, mais j’ai Zadig & Voltaire »

 

7 commentaires pour “Un livre, meussieu, quessqueçé?”

  1. Philippe NantermodNo Gravatar dit :

    C’est bien triste de voir les partisans de la LPL envoyer des coups de plus en plus en dessous de la ceinture. Que savez-vous de mes lectures et de mes loisirs ? Et, d’ailleurs, en quoi cela change-t-il quoi que ce soit au texte que nous voterons le 11 mars ? On peut se lancer des insultes, un vieux con par ici, un inculte par là, mais on n’aura pas vraiment fait avancer le débat.

    Non, le 11 mars, nous ne voterons pas pour ou contre les petites librairies, ou pour ou contre tel ou tel auteur. Le 11 mars, nous voterons une loi qui prévoit un mécanisme de réglementation des prix.

    En quoi ce mécanisme devrait sauver les petites librairies ? Selon les partisans, avec un prix unique, la petite librairie de quartier pourra enfin rivaliser avec Migros, Payot et Fnac qui braderaient les livres. A prix égal, le lecteur irait plus souvent dans une petite librairie que dans un centre commercial.

    Doux rêve… On ne change pas ainsi les habitudes de consommateurs. En France, à prix égal, de plus en plus de consommateurs préfèrent l’univers froid des centres culturels Leclercs à la chaleur de la petite librairie de leur quartier. En quinze ans, les grandes surfaces ont doublé leur part de marché alors que les librairies ont perdu le tiers de la leur. A prix égal. On constate une évolution similaire dans tous les pays qui ont un prix unique.

    Mais bon, on a bien cru il y a dix ans que fermer Napster allait ramener les clients chez les disquaires. L’industrie de la musique était unanime sur la question. Aujourd’hui, on se marre un peu en y pensant. J’ai bien peur qu’on aura une analyse similaire sur notre vote dans une dizaine d’années.

  2. OrgelNo Gravatar dit :

    Ah, enfin. Vous commenciez à me faire peur.
    Je n’insulte personne, j’ai le verbe un peu haut, ce qui devrait pourtant plaire à tous les pourfendeurs du politiquement correct.
    Je me fiche de l’économie et des habitudes des consommateurs.
    Ce qui me désole dans vos arguments (que j’ai lus attentivement sur votre site), c’est que vous défendiez quelque chose qui semble vous chagriner : l’univers froid des grandes surfaces. Est-ce parce que la majorité de nos concitoyens n’ont pas les moyens intellectuels de verbaliser leur malheur de vivre dans un univers chlorotique, laid et déshumanisé qu’il faut abonder dans leur sens et continuer à leur fournir des outils d’abrutissement massif? Je ne le crois pas. Vous savez pertinemment que nous allons dans le mur en maintenant en vie artificiellement un modèle économique malade. Ne me dites pas que vous trouvez normal le nombre ahurissant de véhicules neufs vendus l’année dernière? Y voyez-vous peut-être un signe de reprise économique? J’y vois, moi, une talochée supplémentaire de plâtre sur la jambe de bois.
    Si je défends ardemment le prix unique du livre, c’est peut-être justement parce qu’il représente à vos yeux une aberration économique.
    Nous allons vers la décroissance, cher Monsieur, il faut s’y faire. Nous allons revenir à une économie de quartier, où les épiceries et les librairies refleuriront. N’y voyez pas là de l’angélisme – c’est une évidence. Quand on ne pourra plus rouler jusqu’à Conthey pour remplir son caddie de plastoc, on ira se servir chez l’épicier du coin. Je suis d’ailleurs surpris que parmi tous ces visionnaires qui construisent des centres commerciaux, il n’y en ait pas encore eu un pour miser sur ce retour au service de proximité. Peut-être pour cela faut-il être d’accord de limiter un peu son profit. Mais dans ce pays malade, il faudra du temps. C’est le grand défi qu’auront à relever nos enfants parce que vous, M. Nantermod, vous n’êtes déjà plus dans le coup. Et je n’insulte personne. J’ai juste le verbe un peu haut.

  3. Philippe NantermodNo Gravatar dit :

    Je ne vois aucun angélisme dans votre promotion de la décroissance. Je peut tout à fait concevoir qu’un pays s’y engage.

    Seulement, la LPL s’applique à un système qui n’est pas décroissant. Celle-ci n’a rien d’inévitable comme vous semblez le croire, mais est un choix politique. Je milite pour le modèle libéral de croissance économique que nous connaissons.

    Navré d’avoir pris vos opinions pour des insultes. J’ai eu droit aujourd’hui de me faire traiter d’inculte par Gallaz dans le Matin et de fou furieux du néolibéralisme (dont j’ignore exactement le sens) par Pascal Vandenberghe, directeur d’une filiale du groupe multinational Lagardère. C’est dire que je peux être à fleur de peau ce soir.

    Bref, tout ça pour dire que l’on ne vote pas la loi pour la décroissance et la fin du capitalisme. On vote une loi avec ses mécanismes. Or, ces mécanismes ne permettent pas la sauvegarde des librairies, les expériences étrangères l’ont montré. Ce n’est pas une question dogmatique, mais assez concrète.

  4. OrgelNo Gravatar dit :

    « Je milite pour le modèle libéral de croissance économique que nous connaissons ». Vous écrivez cela sans rigoler.

    Ce sont les égarements des hommes politiques qui façonnent l’univers dans lequel nous vivons, et cet univers, moi je n’en veux plus, et je ne suis pas tout seul. Le modèle libéral de croissance économique pour lequel vous militez contribue à défigurer chaque jour le paysage urbain, à déchirer un tissu social rendu diaphane par des décennies de libéralisme économique, à accroître la solitude des êtres. Vous me faites penser à ces patrons de restaurant qui, à l’heure du questionnement planétaire sur l’économie d’énergie, remplacent les linges de main par des souffleries électriques (que je trouve personnellement très angoissantes, par ailleurs).
    Si vous vous faites traiter d’inculte, c’est parce que tous les amoureux de littérature sont pour le prix unique. Je le répète, ce n’est pas qu’une question économique, c’est une question morale. Et, quoique vous en pensiez, le moment est bien venu de savoir si oui ou non nous voulons poursuivre dans la voie sans issue du capitalisme. Vous avez fait votre choix, nous le nôtre. Je suis désolé de vous apprendre que vous avez tort, sur ce dossier-là.
    Je n’attends pas des hommes politiques qu’ils pèsent le pour et le contre en bons pères de famille bien tièdes et qu’ils défendent leur portefeuille, mais qu’ils prennent des décisions courageuses, intègres et belles; pour cela, il faudrait revoir les poètes et les sages aux commandes de la Cité. Rouge ou blanc?

  5. Philippe NantermodNo Gravatar dit :

    Rassurez-vous, je suis foncièrement libéral et mes positions ne sont pas le fruit d’une approche opportuniste au coup par coup.

    Je suis désolé de vous apprendre que vous avez tort. La LPL ne changera rien aux comportements des consommateurs. Il faudra plus qu’une loi.

    En attendant, je me demande qui peut se déclarer « amoureux de la littérature » et qui ne peut pas. Votre vision prétentieuse et élitiste pourra certainement éclairer ma lanterne à ce sujet. En attendant, les plus grands lecteurs que je côtoye ne sont pas nécessairement favorables à la LPL. Ils n’ont seulement pas besoin de revendiquer l’amitié d’un libraire pour justifier leur attachement au livre.

  6. OrgelNo Gravatar dit :

    Prétentieux? Ce n’est pas moi, que je sache, qui fais profession de me mêler de la vie de mes concitoyens. Se mettre sur le devant de la scène, imprimer de belles affiches avec son blaze en couleurs et se démener comme un beau diable pour imposer ses vues, vous appelez ça comment? Altruisme?

    Le modèle économique que vous défendez m’est odieux, et quand vous l’appliquez aux bouquins, il me l’est davantage. Je vous parle philosophie, vous me répondez concurrence. C’est un dialogue de sourds.

    Élitiste, oui, je le suis. Je préfère être gouverné par des gens cultivés que par des ploucs, je l’avoue.

  7. Philippe NantermodNo Gravatar dit :

    Mes concitoyens m’ont élu, que vous le vouliez ou non.

    Vous me parlez de philosophie, je vous parle d’une loi soumise au référendum dans un mois. 14 articles de la LPL, pas une vision de société, mais un mécanisme de fixation des prix. C’est moins glamour, mais c’est toujours utile d’en rester à l’objet sur lequel nous devons nous prononcer.