
« Nous touchons au but. Les listes sont terminées ainsi que les trois quarts des fiches », nous apprend aujourd’hui dans le journal Bernard Attinger, en charge de l’inventaire communal. Nous en sommes très contents. Rappelons que cet inventaire est exigé par l’article 96 du règlement des constructions de 1988, il y a de cela 24 ans. Comme cet inventaire n’est pas dynamique, et que tout le monde attend qu’il soit fini pour commencer à bosser, eh ben entre-temps on casse tout. C’est simple.
« De manière plus globale, il faut savoir être raisonnable. Tout ne peut pas être conservé« , nous rassure enfin l’homme de l’art, qui est à sa profession ce que l’archéologue cantonal est à la sienne: un fossoyeur. Car enfin, n’est-on pas en mesure d’attendre de l’architecte en charge de l’inventaire communal un peu plus de combativité? Il faut savoir être raisonnable, dit-il. Renvoyons le compliment aux promoteurs, qui depuis 60 ans se fourrent dans les poches les centaines de millions du bétonnage aveugle.
L’architecte Perraudin, qui est sans doute un brave homme, va gagner plusieurs billets dans l’opération du Clos Saint-Georges, devisée à plus de 20 millions. 10%? 15%? Voilà qui fait beaucoup d’argent pour un seul homme! Surtout que c’est une tradition familiale : c’est papa Perraudin qui, en 1952, a foutu par terre le Grand-Hôtel de Sion, construit en 1896 par le bureau de Kalbermatten pour l’hôtelier Jean Anzévui :

« Vaste bâtiment à trois corps, […] idéalement placé au milieu d’un grand jardin, proche à la fois de la gare et de la vieille ville, l’hôtel répond aux attentes d’une clientèle aisée par sa situation et son confort. 80 lits en 1913 » peut-on lire dans l’INSA vol. 9 (Inventaire suisse d’architecture, 1850-1920 : villes. La notice sur Sion, dont sont extraites la plupart des illustrations de cet article, a été rédigée par Catherine Raemy-Berthod).
Si le but est de densifier la ville, peut-on m’expliquer pourquoi on a laissé démolir un bâtiment historique pour en construire un autre d’une volumétrie semblable? Le siège de la Banque cantonale dans un ancien hôtel de la fin du XIXe, ça a de la gueule, aussi. Oui mais voilà : ça rapporte un peu moins d’argent.
Si le but est de densifier, peut-on m’expliquer pourquoi on n’a rien construit à la place des anciennes caves Bonvin place de la Gare? On a densifié les places de parc? ah d’accord.
Si le but est de densifier, pourquoi remplacer un temple néo-gothique par un temple en béton? C’est nettement moins pittoresque mais ça donne du boulot aux copains.

(on entraperçoit le Clos St-Georges, à l’arrière)
Nous avons vu l’intérêt historique du Clos Saint-Georges, bâti vers la fin du XVIIe ou au tout début du XVIIIe siècle et propriété de Joseph-Barthélémy de Kalbermatten, ancien gouverneur de Saint-Maurice. Apparemment, cela ne suffit pas. Peut-être faut-il montrer des images :

Je suis d’accord avec vous, on ne voit pas directement le Clos Saint-Georges, mais ce dessin daté vers 1800 permet de le resituer dans son contexte : on aperçoit à droite la petite chapelle Saint-Georges, coincée aujourd’hui dans un amas anarchique de béton, et au loin la porte de Loèche, démolie en 1830. Le Clos Saint-Georges, à l’époque de ce dessin, existe déjà depuis un siècle.
Maintenant, si vous voulez le voir sur d’autres photos que les miennes, je vous le montre volontiers :

Sur cette photo de 1899, prise lors du cortège historique organisé à Sion pour les 600 ans de la Confédération, on reconnaît bien l’alignement encore préservé aujourd’hui (quo usque tandem?) de la rue de Loèche et, en haut à droite, la petite gloriette et la silhouette caractéristique du Clos Saint-Georges.
Et je ne parle pas ici de l’aberration paysagère que représentera un front d’immeuble dans cette perspective. Je ne parle pas non plus du coût social engendré par ces démolitions, qui chassent du centre ville des familles à loyers modérés; où iront-elles se reloger? Achèteront-elles un bel attique à 1’200’000 ? Chacun de ces points pourrait, à lui seul, justifier un débat.
Il est temps désormais de savoir ce que l’on veut : laisser les coudées franches aux démolisseurs ou freiner un peu leurs appétits grossiers. Il ne s’agit plus de penser l’urbanisation de la ville, c’est trop tard : il s’agit de sauver, dans un but de conservatoire, quelques éléments emblématiques de notre passé qui est un passé glorieux – n’en déplaise à certains grincheux qui jouent la corde de la misère alpine.

Ah ça, Madame, c’est notre plus bel appartement : vous avez la vue sur la maison construite pour Nicolas Delez en 1904 au numéro 34 du Chemin des Collines. Appréciez cet avant-corps central et ce bow-window au toit terrasse sur la façade sud! Et ces chaînes en harpe marquant les angles et ces larges avant-toits!
Non, je plaisantais, Madame, rassurez-vous! On va bientôt foutre toutes ces vieilleries par terre!
Orgel