Quand le vélo était considéré comme un objet masturbatoire féminin

Permettez moi de ne pas succomber aux impératifs journalistiques de rapidité du traitement de l’information. Mais la lecture d’un vieil article du blog  de Vincent Pellegrini (ne vous en faites pas je ne rêve pas de lui la nuit) m’a fait penser à des articles de magazine* qui trainaient chez moi et que j’ai donc relu.

Mon point de départ : lors de la Journée internationale de la femme, début mars 2009, le Vatican, via son organe officiel, L’Osservatore romano, a rendu un vibrant hommage à la machine à laver : « Plus que la pilule, le lave-linge a représenté une véritable libération pour la femme du XXe siècle. (…)  Au début, les machines étaient très encombrantes. Mais rapidement, la technologie mit au point des modèles plus stables, légers et efficaces et on eut l’image de la super femme au foyer, souriante, maquillée et radieuse parmi les appareils électroménagers de sa maison « 

Les articles en question proposent (entre autres) une interprétation sociologiquo-historique de la bicyclette et de la sexualité féminine.  Le vélo a été fortement liée à la question de l’émancipation des femmes au XIXième siècle. L’utilisation du vélo par les femmes a, jusqu’après la première guerre mondiale, dressé contre lui tous les tenants de l’ordre moral et religieux. Tout d’abord parce que le vélo pouvait permettre à la jeune femme de se dérober à la surveillance des parents. Mais les arguments avancés ont surtout été d’ordre sexuel.
L’opinion publique voyait dans le vélo un partenaire sexuel de la femme, une « dérive masturbatoire. » Ainsi, le Docteur O’Folowell écrivait en 1900 dans son livre « Bicyclette et organes génitaux » (sic) : « Depuis longtemps déjà, on écrit que les mouvements de cuisses à bicyclette provoquaient des frottements, des frictions des lèvres et du clitoris et amenaient la femme à des pratiques vicieuses. (…) La cyclomanie en dehors de ses périls ordinaires, comporte pour les femmes les mêmes inconvénients que la machine à coudre. Elle amène les mêmes effervescences, les mêmes surexcitations lubriques, les mêmes accès de folie sensuelle. »
En 1888, le Dr Tissié, dans son livre « Hygiène du vélocipédiste » affirme lui aussi que « la bicyclette expose la femme à des dangers d’ordre intime de la plus haute gravité et, détail horrible, elle les enlaidit. »

Surtout que la place de la femme dans la société bourgeoise de la fin du XIXème est connue : c’est celle de mère.  C’est comme le révèle un journal d’époque « un utérus entourés d’organes » . Faire du vélo représente un danger de stérilisation pour la femme qui perdrait donc là son utilité sociale.

Le port du pantalon pour les femmes à vélo fait aussi débat dès 1890. (débat encore d’actualité à Econe d’ailleurs.) Les amatrices du vélo sont soupçonnées de masculinisation physique et  langagière: « Autour d’elle de parler chiffons et chapeaux, ce qui est partant dit-on, la grande affaire des jeunes filles. Elles parlent matchs et courses, elles ne rêvent que parties de football et de canotage. » L’ordre moral bourgeois est atteint et certains ont peur que « les femmes veuillent diriger la société. »

La bicyclette fut donc à ses débuts la cible préférée de la bourgeoisie qui ne voulait pas d’un boulversement de l’ordre social et d’un « affaiblissement de la race » par l’émancipation féminine.  Il fallut attendre les années 1920 pour que ce paradygme change.

Fernand, productif aujourd’hui

*Le magazine « Les cahiers de la médiologie 5 – la bicyclette.

  • Anne-Marie Clais (1998) « Portrait de femmes en cyclistes ou l’invention du féminin pluriel », dans Les Cahiers de médiologie 5. La bicyclette. Paris: Gallimard, pp. 71-81.
  • Thompson Christopher (1998) «Corps, sexe et bicyclette » dans Les Cahiers de médiologie 5. La bicyclette. Paris: Gallimard, pp. 61-69.

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8 commentaires pour “Quand le vélo était considéré comme un objet masturbatoire féminin”

  1. MontagnardNo Gravatar dit :

    Ce magazine « Les cahiers de la médiologie », on le trouve chez le dentiste ou dans les salons de coiffure ?

  2. sardinaluileNo Gravatar dit :

    Le vélo, passe encore; mais la machine à coudre comme objet d’excitation lubrique, ça c’est quelque chose!! Je teste et je vous redis.

  3. gabriel benderNo Gravatar dit :

    La machine à laver a libéré la femme… quelle baliverne.
    Autrefois, on faisait bouillir les draps trois fois par année… Plus les appareils ménagers sont performant plus les exigences augmentent. Sur le sujet, je vous recommande, Kaufman, « Le coeur à l’ouvrage »
    Je résume le bouquin : La machine à laver laisse plus de temps à l’aspirateur… je résume mon idée, une machine n’a jamais libéré qui que soit.

  4. Gianni HaverNo Gravatar dit :

    Vous étiez pas étudiant en Sciences du sport dans mon séminaire sur le sujet?

  5. FernandNo Gravatar dit :

    Bien vu Gianni. Le cours « d’Histoire du sport II ». Je suis l’auteur du très remarquable mémoire de licence :  » Histoire des barres parallèles en Corée du Nord sous le point de vue aristotélicien  » préfacé par Dyonis Fumeaux ! Par contre à l’examen pratique de Tchoukball et à celui de patinage artistique j’ai été recalé…

  6. OrgelNo Gravatar dit :

    @ sardinaluile
    Il y a peu de chances que la pratique actuelle de la machine à coudre vous conduise à une quelconque volupté. Les machines à coudre incriminées sont celles à pédalier, dont la mise en branle provoquait une ondulation de la cuisse et des frottements intimes de plus en plus rapides. Certains bistrots l’ont bien compris qui réutilisent ces piètements en fonte pour leurs tables, où ne vont s’asseoir que des jeunes filles qui retrouvent assez rapidement les réflexes de leurs aïeules.

  7. sardinaluileNo Gravatar dit :

    OK, je me mets au rouet et je vous redis. (Pour la machine à coudre, je commençais pourtant à éprouver une certaine émotion en regardant la petite aiguille monter et descendre….)

  8. sardinaluileNo Gravatar dit :

    @ gabriel bender
    En partie d’accord avec vous : toutes ces machines entraînent effectivement une sorte d’accoutumance chez certain-e-s utilisateurs dont une exigence très helvétique s’accroît : plus propre, toujours plus propre. Mais ceci touche à mon avis les sujets fragiles, au bulbe cervical atrophié et dont la matière grise est aussi javellisé que leurs catelles.
    Il est vrai aussi qu’autrefois (ah! le bon vieux temps!) « on faisait bouillir les draps trois fois par année »; mais dites-nous également quelque chose sur les « petites » lessives presque quotidiennes de couches (pas encore jetables, comme on était écologique alors…), de draps de corps ou de chemises (malgré des trousseaux confectionnés avec ou sans excitation lubrique, notez bien) et j’en passe, j’étais pas là. J’entends encore ma grand-mère (née en 1922, c’est pas de la préhistoire) me raconter sa fatigue à près de minuit quand elle devait, après une journée bien remplie, laver encore les langes de ses enfants à la main, et sans palmolive…
    Ce n’est pas ça qui libère la femme, on est encore d’accord, mais je sais pas vous, moi en tout cas je suis bien aise d’entendre les machines ronronner sans même avoir besoin de pédaler.