Et, en plus, il pleuvait…

Il y a des années comme ça où l’on a la furieuse envie de rester au lit. Et hier matin peut-être encore plus qu’un autre. C’est la radio qui m’a réveillé. Au programme du pseudo talk-show de la Première, le Grand8, toujours un peu les mêmes invités, les mêmes causeries convenues sur des sujets bavards. J’écoute vaguement, lové sous ma couette, les propos futiles qu’un vague sociologue débite sur le temps qu’il fait et sur ceux que nous vivons. On s’extasie encore et toujours sur les qualités indéniables de communication des affiches pourries de l’UDC. On vante, même si l’on n’est pas d’accord, entendons-nous bien, leurs incroyables talents de publicistes, ce don inné qu’ils ont pour créer le débat et provoquer le scandale qui fera parler d’eux.

J’ai heureusement loupé, un peu plus tôt, sur la même chaîne, les arguments  d’Oskar pour son initiative racoleuse et putassière. C’est déjà ça de plus en moins. Je ne l’ai entendu qu’en propos convenus sur l’affaire Polanski, c’est suffisant pour me donner la journée entière une vague envie de vomir. C’est lui aussi qui l’autre nuit a poussé des cris d’orfraie et appelé au procès contre la TSR qui aurait prétendument modifié ses propos. Il avait déclaré en réponse à la journaliste qui lui demandait si la menace islamiste n’était pas un rien exagérée par lui, je cite: « Je peux vous dire qu’en 1932, 31, avant l’avènement d’Adolf Hitler, beaucoup de juifs se disaient: «Oh, ça ne sera pas si grave, on peut vivre avec» » atteignant ainsi à une vitesse inégalée le point Goldwin dans un débat démocratique.

Mais puisqu’il nous pousse à nous pencher sur cette période triste de l’histoire de l’humanité, il est temps je crois de rappeler l’existence du travail de Victor  Klemperer. Ce politologue et romancier allemand, fils de rabbin, ne doit sa survie au régime nazi qu’à son mariage avec Eva, aryenne de souche selon les critères de l’époque. Se voyant interdit d’enseignement en 33, il commence alors, pour ne pas péricliter intellectuellement,  un journal personnel où il note scrupuleusement l’évolution du parler nazi qu’il nommera LTI, Lingua Tertii Imperii, la langue du Troisième Reich. Il souligne au fil de ses carnets comment le glissement de sens de certains mots, de certaines expressions asservissent le langage et la pensée. 

Car, ce qu’a oublié de nous dire le badin sociologue d’hier matin quand il préférait discourir sur le réchauffement climatique et les brillantes qualités graphiques des affiches, c’est le travail de sape du discours qu’est en train de faire l’UDC sous couvert de lutte contre le politiquement correct et de liberté d’expression: un mot est lancé, éructé, il choque, fâche dans un premier temps. Mais très vite l’émotion suscitée se tasse et le mot rentre dans l’incontinent collectif.

À l’heure où des dirigeants de partis politiques usent de mots comme « racaille », « déviant », ou comparent une partie de l’humanité à des nazis, à l’heure où certains en appellent à la « Vérité historique«  (sic), il serait bon de ne pas oublier ce que fut celle du Professeur Klemperer.



Le reste est .

Alcazard, émétophobique

Un commentaire pour “Et, en plus, il pleuvait…”

  1. OrgelNo Gravatar dit :

    Pour compléter Klemperer et son étude du vocabulaire nazi, il faut lire « Rêver sous le IIIe Reich » de Charlotte Beradt (Petite Bibliothèque Payot 2002) ou comment le régime et son emprise tentaculaire sont allés jusqu’à perturber la vie onirique des Allemands.