Windisch, idéologue contre l’idéologie

N’ayant pas les capacités académiques pour me permettre de critiquer le travail de sociologue de Monsieur Windisch, il me semble de bon ton de publier ici l’excellent article que monsieur Mark Hunyadi avait fait paraitre dans les colonnes du Journal de Genève  le 22 décembre 1990. Certes, ça date un peu, mais à le lire, il ne semble pas que Monsieur Windisch ait beaucoup changé en 20 ans (sauf, peut-être, pour ce qui est de l’ordre dans son bureau).

Bonne lecture.

Avec son «Prêt-à-penser», le sociologue voit la paille dans l’œil de ses ennemis. Quant à la poutre qui est dans le sien, parlons-en!

En matière théorique, l’ignorance et l’impertinence vont très mal ensemble. La polémique n’a d’intérêt que si elle est dûment motivée, sérieusement fondée; sans quoi elle s’épuise elle-même dans ses vains battements d’ailes. On en aura la regrettable preuve dans Le Prêt-à-penser, le dernier ouvrage d’Uli Windisch, professeur de sociologie, qui s’inscrit dans la continuité de travaux antérieurs, consacrés à la Logique de la pensée populaire ou au raisonnement et au parler quotidiens.

L’entreprise de Windisch ne manque en elle-même pas d’intérêt: il s’agit d’analyser les formes de la communication argumentative quotidienne mises en œuvre par Monsieur Tout-le-Monde, choisi parmi les auteurs des lettres de lecteurs adressées à des quotidiens romands. Ayant sélectionné celles qui concernaient le problème des étrangers en Suisse, Windisch a ensuite eu une cinquantaine d’entretiens privés avec leurs auteurs, qui constituent la matière brute de ses investigations. Il cherche ainsi à dresser une fine typologie des arguments déployés par l’homme de la rue confronté au problème de la xénophobie.

Comme toute recherche empirique menée avec quelque application, celle-ci comprend des éléments d’information intéressants, propices à susciter la réflexion. Mais Windisch ne s’arrête pas en si modeste chemin. Sa démarche, tout entière orientée par «l’humilité devant les faits», il la met au service d’une croisade contre la spéculation théorique, assimilée à l’esprit idéologique qui concourt, dans le domaine des sciences sociales, à créer l’image d’un «imbécile culturel». Entendez l’image «d’un individu entièrement façonné et déterminé par la société (…), sans autonomie, sans action et initiative propres».

Car ces «théoriciens en chambre», représentés notamment par la mouvance marxiste, qui visent à «créer une société idéale et à changer radicalement l’homme», sont mus par «la haine de leur propre société»; ceux qui la constituent majoritairement, les petits-bourgeois, deviennent dès lors des «imbéciles culturels» à émanciper. Ennemi juré de notre auteur: Jürgen Habermas, qu’il n’a manifestement pas lu. Et s’il la fait, il aggrave dangereusement son cas.


Mauvaise foi

Car il est piquant de constater que Habermas ne saurait tomber sous le coup d’aucun des griefs qu’adresse Windisch au «prêt-à-penser des sciences de l’homme». Dans ses pages consacrées à Habermas ainsi que dans ses très nombreuses méprisantes allusions, Windisch nage en pleine mystification, élevant la mauvaise foi au rang de dogme méthodologique.

Ainsi, sous la plume de Windisch, le philosophe devient-il le héraut d’un «nirvâna d’un nouveau type, dit communicationnel»; c’est ignorer complètement que le projet de l’auteur de Morale et Communication n’est en aucun cas d’instaurer une société idéale, encore moins de favoriser un nirvâna de quelque type que ce soit. Son but est simplement de trouver un point de vue critique, à partir duquel on pourrait juger idéalement toute société, ce qui est tout autre chose. Et ce point de vue, il le dégage à partir des présupposés moraux qu’implique toute communication verbale.

Il ne s’agit pas là, contrairement à ce que pense Windisch, de postulats théoriques étrangers à la communication argumentative quotidienne, mais bien de ce que la communication ordinaire, y compris et surtout celle de Monsieur Tout-le-Monde, implique déjà par elle-même. Il y a donc contresens complet à parler là d’élitisme (Habermas n’a cesse de combattre la culture des experts, ou l’idéologie des mandarins); il y va au contraire d’une théorie radicale de la démocratie, ayant abandonné tout recours à une quelconque promesse utopique. Si utopie il y a, elle est déjà dans la communication, telle qu’elle s’engage réellement chez tous les acteurs sociaux.


Des préjugés

Et ainsi va tout le livre, d’affirmations gratuites en tautologies, se dispensant, sans doute par fidélité à l’esprit de recherche qu’il vante tant, de toute argumentation. Ainsi, page après page, paragraphe après paragraphe, n’apparaissent que les préjugés de l’auteur, assurément dépouillés, eux, de toute pensée, mais non de l’esprit d’idéologie qu’il s’acharne pourtant, deux cent vingt-trois pages durant, à combattre. Chez les autres.


Mark Hunyadi

4 commentaires pour “Windisch, idéologue contre l’idéologie”

  1. CretchNo Gravatar dit :

    Manifestement vous ne l’aimez pas beaucoup 🙂 Et je gage que ce dernier se fera un plaisir de répondre. On tient la saga de l’été du Matin 😛

  2. BorisNo Gravatar dit :

    Ça m’étonnerait que le Maître s’abaisse à ça. Ou alors par le biais de son avocat.

  3. GregNo Gravatar dit :

    On commence vraiment à se demander qui est le plus en recherche de reconnaissance dans cette histoire ! qui s’exhibe dans la presse de manière grotesque ! Allez Boris courage … tu vas les digérer tes 1000.-

  4. IsandreNo Gravatar dit :

    Et ça m’étonnerait beaucoup que le Matin entame une disputatio épistémologique concernant le sieur Uli.