1976 : Chappaz vs Le Nouvelliste

Permettez-moi de synthétiser (rapidement par manque de temps et de motivation) et de  publier sur cette page des extraits  (choisis) d’articles et de chroniques d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaitre et qui concernent la polémique médiatique qui a fait rage suite à la publication du livre « Les Maquereaux des Cimes Blanches » de Maurice Chappaz en 1976.

——————————————————————————————————-

La rumeur court comme le vent sur les crêtes en ce début d’année 1976. Maurice Chappaz serait sur le point de publier  un pamphlet contre un certain Valais, un Valais saccagé et salopé par les promoteurs.  Anne Troillet-Boven, chroniqueuse culturelle au Nouvelliste, qui s’affirme « radicale de tradition et de conviction« , et qui n’a  par ailleurs pas lu la moindre ligne du dernier écrit du poète bagnard, se montre particulièrement menaçante dans sa chronique du 7 février  : « Le match Valais Judée vous a déjà assez fait de tort auprès de vos compatriotes. Ne récidivez pas et tachez au contraire de comprendre les Valaisans (…) J’ai cru comprendre que vous  en aviez particulièrement à un quotidien valaisan. Ne soyez donc pas ingrat et rappelez-vous avec quelle complaisance, en automne 1974, sauf erreur, ce quotidien insérait les articulets que vous lui donniez avec vos photos., (…) articulets qui se terminaient par cette phrase devenue rituelle : « Le contact avec la population a été excellent ».

Peu après la publication dudit livre, le 27 mars 1976,  après avoir refusé de publier un texte d’André Morand (alors élève à St-Maurice ) sur son admiration pour l’œuvre de Chappaz, et  après la parution d’un article élogieux sur « Les maquereaux des cimes blanches »  dans le journal radical Le Confédéré, le Nouvelliste contre-attaque.  Toujours sous la plume d’Anne Troillet-Boven, qui, cette fois, semble avoir lu le livre,  il publie une charge violente contre l’écrivain de Veyras :  « Incohérence, platitude, absence totale d’émotion, antipatriotisme, myopie intellectuelle, calomnie, tels sont les mots qui s’imposent à l’esprit à la lecture du minable pamphlet que Chappaz vient de lancer dans le public. »

Après s’être attaquée au Confédéré , elle reprend : « Si Chappaz n’avait pondu qu’un mauvais factum, on pourrait lui pardonner. Ce n’est pas le premier de sa carrière littéraire. Il y a longtemps qu’il fait du théâtre. Il y a longtemps qu’il parcourt le pays, vêtu en clochard, exagérant l’accent valaisan, plaquant sur son visage un air de fausse bonhommie, cueillant au propre comme au figuré, son bien un peu partout, et nanti, se donnant les gants de mépriser les biens de ce monde. Il y a  longtemps qu’il fait de l’auto-stop, emprunte des livres sans les rendre, se présente aux guichets des remonte-pentes, excipant de son nom pour obtenir une course au rabais, quitte à maudire publiquement la technique qui permet à chacun de gravir « les cimes blanches. » Il est temps de dénoncer l’imposture. Je n’aime pas recourir aux arguments ad hominem, et le Ciel est témoin que je ne me suis attaquée qu’à la production littéraire de Chappaz.  » Faut-il en rire ? Mme Troillet-Boven, ne rit pas, elle, elle agit par charité chrétienne : « Je suis charitable comme le chirurgien qui tranche une jambe gangrénée ou qui extirpe un cancer. Le Valais a sa gangrène et son cancer, c’est Maurice Chappaz. »

Les jours qui suivent voient des courriers des lecteurs fleurir dans le Nouvelliste. Le 31 mars, un lecteur salue le billet de la chroniqueuse bagnarde : »J’ajoute aussi qu’un vrai valaisan, s’il entend faire un tour à ski avec des copains, ne commence pas par alerter la presse, la radio et la télévision pour glorifier l’évènement. »  Un autre lecteur, début avril : « Aimer son pays, c’est aussi, avec dignité, comme une mère pour les défauts de son enfant, en voiler les déficiences« .

La poussière, en Valais, c’est sous le tapis et pas ailleurs. C’est la ligne de défense abordée par le quotidien valaisan. Le NF reprend même l’éditorial de « Valais Demain » signé Pierre Moren : « Ziegler et Chappaz ont tous les deux la chance d’avoir des parents qui sont nés avant eux. Ni l’un ni l’autre n’a refusé « le matelas de billets bleus. (…) Et puis, si en définitive, si cela sent vraiment si mauvais dans notre pays, il n’y a aucun  mur de la honte qui empêchent tous ceux qui le désirent d’aller vivre sous des cieux qu’ils jugent meilleurs. »

C’est la ritournelle lancée par Troillet-Bonvin et reprise dés le début par le journal monopolistique valaisan : au poète issu d’une famille aisée, on oppose le travailleur laborieux valaisan. Mi-avril,  un autre chroniqueur du NF se joint au bal : le docteur Georges Contat. Il répète le Credo  des poètes qui s’expriment » sans avoir connu les nécessités de nos montagnards, leur vie rude et leur honnêteté  » :   » le paysan est désormais heureux, le dimanche, de pouvoir boire son verre et mettre des pantalons à pattes d’éléphant comme ses compatriotes de la plaine.  (…)  Maurice Chappaz, après le professeur Ziegler, comment ne pas comprendre qu’on lave son linge sale en famille, que chaque pays fournit son  monde, et qu’ailleurs comme chez nous, il y a  des failles dans les consciences, mais ils les gardent pour eux. »  Il poursuit : « Notre race et notre pays valent mieux que ce que vous racontez car c’est tout le peuple valaisan que vous insultez en attaquant et en racontant ce que nous savons  déjà tous« .

Le1er avril, Roger Germanier, rédacteur au Nouvelliste  vient en aide à ses camarades, en se référant au bon sens paysan, avec un ton teinté de paternalisme. Il s’en prend « aux puristes du bisse ou du sapin qui n’ont pas à craindre les méfaits du gel » et qui  « ont des comportements, comme des gifles qui se perdent. »  Des gens « qui s’en prennent systématiquement aux promoteurs et surtout aux promoteurs valaisans. » Quarante ans avant  le pamphlet de Stéphane Hessel, il fustige  la bien-pensance : » L’arnaque est du côté de la polémique. Et ceux là, les professionnels de l’indignation à sens unique, s’ils prenaient pelle et pioche, s’ils abandonnaient plume et gomme, serviraient certainement mieux ce pays qu’ils affirment défendre. (..) D’abord à manger, la poésie après. »

Roger Pitteloud, le compagnon de maquis de Guy Genouddans le journal d’opinion conservateur « Valais Demain » tire à son tour (23 avril 1976) sur « une œuvre d’allure juvénile qui ferait penser aux gosses jaloux et cruels qui font pipi sur les châteaux de sable plus jolis de leurs camarades, et qui, selon d’autres, sent l’urine, dirait Bernanos, comme un hôpital de diabétiques.  »

C’est avec l’intervention de la presse romande qui commence à défendre Maurice Chappaz et avec le billet de Roger Germanier que  débute l’acte 2  de la pièce de théâtre mise en place  au Nouvelliste : l’esprit de victimisation et la recherche du coupable. Germanier écrivait, pour dénoncer les critiques de Chappaz : « Nous sommes très près des steppes de l’Oural et nous avons tous besoin de rester unis. » Le méchant est tout trouvé, c’est le communisme international qui tente de couler le Nouvelliste et celui ci ne va pas se gêner d’employer l’épouvantail stalinien pour effrayer le Valaisan moyen.

Le 26 avril, Suzanne Labin, politologue française,  auteur, entre autres, du fameux opuscule « Hippies, Drogues et Sexe« ,  et par ailleurs chroniqueuse régulière au Nouvelliste est appelée à la rescousse. Sa chronique, publiée en première page du quotidien, s’applique à dénoncer un complot contre le Nouvelliste et « son admirable capitaine André Luisier » qui « n’a jamais été moins impliqué que dans cette chronique de Mme Anne Troillet-Boven« . Elle rue dans les brancards de la TV romande, « si complaisante pour le communisme et contre le NF » et encense « l’analyse brillante de Mme Troillet »  « .  Elle poursuit :  » Chappaz qui  à la suite d’années de publicité unilatérale, s’est taillé une place dans les lettres suisses et qui écrit toujours pour dénigrer toutes les valeurs de la civilisations. Il constitue donc pour les démolisseurs de cette civilisation, au premier rang desquels s’active bien entendu la grande machine communiste, un allié de choix. » Devançant de plusieurs décennies la prose d’Uli Windisch, elle affirme : « les champions de la gauche et de la démolition doivent  toujours être défendus de façon totalitaire » afin de dénoncer le positionnement de la presse romande dans cette affaire « Chappaz ».  » La méthode inspirée par le communisme est de prendre pour cible l’homme qui tient à bout de bras la tour à abattre, M. André Luisier. C’est ce que les américains appellent « Character-asassination.  Les communistes ont compris que le moyen le plus facile pour faire tomber un système est de culbuter l’homme qui l’anime, Et dans ce but on ne s’arrêtera devant aucune calomnie, aucune bassesse, aucune insinuation, aucun artifice : accumuler la haine jusqu’à ce qu’elle devienne un réflexe. C’est bien la preuve qu’il s’agit non d’un débat d’idées, mais d’une action de guerre. (…) Presque seul, le Nouvelliste parle d’une voix nette et haute. il est presque le seul à à ne pas se laisser intimider par le terrorisme intellectuel de la pseudo-gauche qui n’a de fonction historique que de paver la route au communisme. » Les amis de Maurice Chappaz décrits comme des thuriféraires du communisme, la ficelle est énorme , le glissement est scabreux, mais c’est la méthode qui est employée par la rédaction sise à la rue de l’industrie.

Le Confédéré réplique le 27 avril, via Daniel Anet, président de la Société genevoise des écrivains qui dénonce les attaques odieuses dont est victime Maurice Chappaz par le NF.   En mai 1976, c’est au tour du jeune Léonard Bender et de Clément Balleys de réagir à  l’article de Labin dans les colonnes du journal radical.  Ils y dénoncent « les pseudos analyses politiques(…) tenant plus de la pathologie que du raisonnement » et y défendent « le droit à la différence » en Valais.

A partir de mai 1976, la guerre journalistique est déclarée, avec, d’un côté le Nouvelliste et de l’autre le Confédéré et les journaux lémaniques. Clément Balleys allant jusqu’à dénoncer (15 juin) « certains collaborateurs du NF «  dont plusieurs d’entre eux sont bien connus pour avoir appartenu à des groupes et partis d’extrême droite. L’un s’étant  superbement affiché comme raciste et antisémite convaincu dès sa jeunesse et qui plus est, durant 1939-45, a mis tout son zèle durant la collaboration,  aux côtés de Doriot et consorts. »  Dénonçant la fuite en avant du Nouvelliste, il termine son courrier comme suit : « si le communisme fait peur, le NF fait rire… »

Le journaliste Vincent Philippe de La Tribune-Le Matin qui dénonce le climat d’intolérance et de censure est traité « d’affabulateur » par la rédaction du Nouvelliste . Les quotidiens extra-cantonaux sont pris pour cible: « les chers »amis de l’avenue de la Gare de Lausanne (…) les plus demeurés ne sont pas forcément ceux auxquels ils pensent. » Anne Troillet-Boven réapparait également pour  attaquer le journaliste Vincent Philippe : « J’ai attaqué de face et on m’a frappé dans le dos. Le résultat le plus clair de votre courageuse intervention est que moi, qui achetais chaque jour la Tribune, je m’abstiendrai désormais de le faire.  Et je suis convaincue que je ne serai pas la seule, en Valais, à prendre cette décision » . On ne sait pas si les chiffres REMP  de 1976 confirment une chute libre des ventes de la Tribune en Valais…

Si le début du mois d’avril était propice aux dénonciations du complot communiste, la fin du mois et le mois de mai voit apparaitre  le sentiment de victimisation face  « à l’étranger » dans les colonnes du quotidien valaisan.  Le 29 avril, Anne Troillet attaque ainsi  Daniel Anet, « vous qui n’êtes pas valaisan« . Au moins 7 fois, Maurice Chappaz et Corinna Bille sont accusés d’insulter leur pays en subissant des encouragement étrangers et « des mots d’ordres de leurs amis vaudois. »

Le 19 mai, une mise au point est publiée dans le Nouvelliste suite à la prise de position de la société valaisanne des écrivains plutôt favorable à Maurice Chappaz.  Mise au point non signée (Le Nouvelliste) et probablement écrite par André Luisier lui-même et qui se passe de commentaires.  :

« C’est avec une touchante unanimité que les concurrents de tous bords s’attaquent au NF et feuille d’Avis du Valais. Leur indignation à retardement, soigneusement orchestrée (…)  Jamais le NF, jusqu’à présent n’a répondu aux provocations diffamatoires de Chappaz. Mme Troillet, elle, s’est élevée contre sa tendance à détruire systématiquement les valeurs réelles qui font la force de notre Valais. (…) On oublie qu’il y a  des cantons où le quotidien n’a pas à lutter contre une concurrence aussi puissante que celle qui s’exerce en Valais. (…)Enfin, on veut aussi et surtout oublier que le NF a publié un article élogieux lorsque Chappaz – qui avait retrouvé sa veine poétique perdue depuis longtemps, cette veine qui devait, par la suite, l’abandonner complètement – chantait le Loetschental, il y a un peu plus d’une année.  L’attaque « ad hominem » pratiquée par Chappaz dans  son dernier pamphlet devait naturellement appeler une réponse « ad hominem » également. Certains de nos silences charitables sont par ailleurs parfaitement significatifs pour le pamphlétaire Chappaz dont la discrétion apparente cache la crainte de révélations beaucoup plus crues que les prétendues  accusations de son dernier « travail ». En effet les allusions de Mme Troillet ne sont rien à côté de la réalité que connaissent non seulement tout Bagnard ( dont M. André Luisier, ami intime des familles Troillet et Chappaz), mais la plupart des Valaisans, lucide et désintéressés. Ces derniers, en effet, n’ont pas à inventer de toutes pièces un scandale pour vendre quoi que ce soit. »

Cette intervention semble clôturer les passes d’armes au sujet de l’affaire « Chappaz », le Confédéré ayant décidé, quelques semaines plus tôt de ne plus publier sur le sujet…

A noter que le Nouvelliste ne cite à aucun moment le titre du livre de Maurice Chappaz et n’utilise jamais de civilités pour l’écrivain bagnard se contentant d’utiliser un dédaigneux « Chappaz ».

Fernand,  roi de la synthèse

Remerciments particuliers à Mathieu Bessero Belti et à René-Claude Emery  qui ont fourni les articles de presse d’où sont tirés ces lignes, suite à leur lecture du 22 mars au Grand café de la Grenette.

4 commentaires pour “1976 : Chappaz vs Le Nouvelliste”

  1. HannahNo Gravatar dit :

    Merci pour ces informations extrêmement intéressantes! J’ai moins de 40 ans… j’avais connaissance de l’histoire Chappaz vs NF mais n’aurais jamais imaginé que les publications du NF étaient aussi ahurissantes, extrémistes et mensongères! Bon, si on considère aujourd’hui que le NF est l’organe du parti qui commence par un U et fini par un C, notamment en montant en épingle la soi-disant tentative de meurtre dont Freysi aurait été victime en France, toute la rhétorique protradition (que j’aime le combat de reine, le fromage d’alpage et les marmottes qui sifflent sur les sommets!), les humeurs du jour de Mr Rédacteur en chef adjoint concernant le vote des femmes (je suis d’ailleurs étonnée que vous n’ayez pas commenté le sujet, il s’est donné à fond ce jour-là et sa prose était fameuse…), je devrais être beaucoup moins étonnée… Encore merci pour ces éclairages qui en deviennent presque aveuglants…

  2. JffournierNo Gravatar dit :

    Hello Fernand De la Synthèse,

    A la lecture (que je vous souhaite bonne), des pages 2-3 du Nouvelliste du jour, j’espère que vous apprécierez la différence entre le NF d’autrefois et d’aujourd’hui… :o)

    Un fan de Chappaz

  3. FernandNo Gravatar dit :

    Effectivement, il faut avouer que le traitement est fort différent. Après avoir lu une trentaine d’articles datant de 1976 sur le sujet, je pense que c’est difficilement possible de faire pire comme journalisme.C’est plus facile quand on part de si bas 😮

  4. FernandNo Gravatar dit :

    En même temps, Mme Troillet-Boven , M. Pitteloud et consorts savaient insulter en faisant des références à Virgile, Bernanos ou Léon Daudet et avec une certaine qualité d’écriture. Tout se perd, mon bon Monsieur, avec les jeunes d’aujourd’hui !