De l’utilité d’une boîte aux lettres

Il doit exister à deux pas de chez nous un pays extraordinaire où les choses sont claires et bien rangées. Tout y est trié de façon propre et équitable et chaque objet trouve la place exacte à laquelle il a droit. L’encensoir est sur l’autel, au centre de l’église, au cœur du village pile poil au milieu du vallon. En face de l’église il y a l’épicerie, juste à côté du bistrot. Le stand de tir est un peu plus bas, près du ravin derrière la scierie. Toutes les maisons sont joliment alignées. Elles sont petites mais cossues et décorées avec goût par la maîtresse de maison qui partage son temps entre le jardinage, l’éducation des enfants et la préparation fébrile du retour, le soir, du chef de famille après sa rude journée de labeur. Tous sont citoyens blancs et propres sur eux ayant le droit de vote et d’éligibilité.

Dans ce pays, toutes les maisons sont munies, comme il se doit, de géraniums et de rideaux aux fenêtres, d’une cheminée sur le toit et d’un petit jardin comprenant une haie de thuya, des nains de jardin à brouette, un drapeau, le plus local possible, et une boîte aux lettres.   Les autres, les étrangers sales aux mains calleuses et aux ongles noirs, la main d’œuvre bon marché,  tous hommes célibataires et sans enfant,  aux mœurs étranges, sont parqués dans des habitations improbables où le facteur ne passe jamais. D’une part parce qu’il a peur de se faire agresser et d’autre part parce que ces sauvages n’ont même pas de boîte aux lettres et que c’est bien con.

Je ne sais pas où se situe exactement ce pays, mais il ne doit pas être très loin de la Suisse. J’ai en effet reçu hier matin une brochure destinée à ses habitants. Un facteur se sera sans doute égaré. Comment en effet expliquer autrement le fait hallucinant que l’UDC se soit fendu d’un tous-ménages pour lancer une vaste, je cite, « consultation populaire sur la politique d’asile et des étrangers » en vue d’en tirer leur « programme politique en vue des élections fédérales de 2011 » en Suisse? On doit le savoir dans les hautes sphères du premier parti de Suisse que les étrangers, chez nous, ils vivent avec nous, ils ont des boîtes aux lettres et ils reçoivent les tous-ménages. Si ça se trouve il y en a même qui vont avoir le culot et l’audace de répondre, comme ça, juste pour se moquer de nous. Vous imaginez? Des Zaïrois vont pouvoir décider de la ligne politique de l’UDC. Des Kosovars vont pouvoir dire si oui ou non ils sont pour « le regroupement familial réservé aux personnes ayant des connaissances linguistiques suffisantes ». Des Roumains vont pouvoir s’exprimer s’ils veulent d’une « installation d’une hotline nationale pour annoncer (sic. « dénoncer » c’est un peu trop connoté) les abus ». Toni Brunner l’a dit: « Vous pouvez ainsi influencer directement la politique fédérale et faire en sorte qu’il se passe enfin quelque chose dans ce domaine ».

Enfin une vraie démocratie directe qui prend en compte l’avis de toute la population résidente d’un pays. Bravo. J’incite donc tous les étrangers vivant en Suisse (ou même, soyons fou, à l’étranger, le questionnaire étant en ligne et accessible contre un petit mensonge) à remplir en toute sincérité le joli et totalement objectif questionnaire sur la « politique à l’égard des étrangers en Suisse », de faire également quelques propositions bien senties et à retourner le tout à l’expéditeur au plus vite afin que les têtes pensantes du parti agrarien analysent leurs réponses.

Il y en a un qui doit être mal, c’est le sociologue qui assure depuis des années qu’il n’est pas UDC puisqu’il est pour le droit de vote des étrangers. Et bien maintenant, ce n’est plus un critère.

Alcazard, moitié d’étranger, même pas naturalisé

Un commentaire pour “De l’utilité d’une boîte aux lettres”

  1. sardinaluileNo Gravatar dit :

    Je vous sais gré de ces informations de prime importance qui ne se sont malheureusement pas égarées dans ma boîte aux lettres – peut-être faudrait-il prévoir une consultation populaire sur la politique de la poste et ses hordes de facteurs inconséquents?…