Sion, capitale de l’ignorance

Après avoir mis en exergue le mensonge de Marcel Maurer au sujet de la réhabilitation de l’Ancien Hôpital, la rédaction de Sortez de ma chambre ne résiste pas au plaisir de vous faire part d’un autre paragraphe, issu du même texte (pour mémoire, il s’agit de la présentation de la ville de Sion pour la brochure du 37. Concours Suisse de Musique pour la Jeunesse).

Achtung, je cite :

Vue en couleur, Sion est une ville du sud, chaude, sympathique, cordiale et conviviale. Elle vous embrasse et vous délasse. Parce que son charme est à la fois public et intime, son ambiance chaleureuse, colorée, musicale… Cette Sion-là est plutôt celle qui palpite, celle qui invite et qui retient. Elle est au goût du jour, moderne, elle qui tente le mariage respectueux et harmonieux de la tradition et de la vie présente, et qui regarde sans cesse plus loin. Les places nouvellement aménagées, les rues élargies aux pavés roses, les façades aux riantes couleurs, le marché bigarré, les animations de rue, les festivals de musique créent cette subtile symbiose de la pierre et de la vie. L’environnement urbain et l’homme qui l’habite dialoguent pour la mise en valeur de l’un et le bien-être de l’autre.

Pour Marcel, la Ville se résume à la vieille ville, donc. Parce qu’en dehors, ça déménage. La preuve par l’image :

 

Sion, rue du Vieux-Moulin 37 - 28 mars 2012

 

Sion, Vieux-Moulin 37 - 3 avril 2012

Je ne voulais pas y aller voir, moi. C’est un gentil lecteur qui m’a envoyé cette belle photo. Citons encore une fois Marcel Maurer, dans un autre paragraphe (que j’ai la flemme de retranscrire dans sa totalité tellement c’est mauvais) :

[La ville] a traversé les âges sans broncher, véhiculant avec elle ce qu’elle fut et ce qu’elle a vécu.

On notera, sur les deux photos ci-dessus, la différence d’appareil et d’entretien des deux murs de soutènement : en bas à gauche, la pierre sèche et le lierre (sud, chaud, sympathique, cordial, convivial, tout ce que tu veux Monsieur Maurer); en haut à droite les moellons calibrés, jointoyés au ciment et rundopés. La mémoire des hommes se loge aussi dans ces détails. Je vous épargnerai la photo du bouquet de fleurs violettes (je suis une nouille en botanique) qui poussaient entre les pierres du mur (devinez lequel) quand j’ai pris la photo du 28 mars.

Je vous propose maintenant une petite visite de cette belle ville du sud, qui a toujours su gérer son développement dans le respect de son histoire. Ne cherchez pas ces maisons, elles ont toutes été démolies durant ces quarante dernières années :

 

Maintenant, hein, après tout, tout ça, c’est du passé. Oui. Regardons le présent :

Cette maison, le « Clos St-Georges » ou Maison Brunner, fait l’objet d’une spéculation immobilière initiée par la propriétaire, qui a mandaté le bureau d’architecture Perraudin. Le projet comprend la démolition du bâtiment et la construction d’un immeuble de 25 logements avec parking souterrain.

Avec la maison du n° 37 (que les dieux lares aient son âme) démolie aujourd’hui, les chalets urbains démolis l’année dernière et le Clos St Georges qui doit subir le même sort au printemps prochain, c’est toute la rue du Vieux-Moulin qui part en sucette. Zone Centre III, densification du centre-ville. Hop.

Pourtant, l’inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse,  l’ISOS,  mentionne le Clos St-Georges comme objet digne de protection, de même que tout le secteur du Vieux-Moulin. La sous-commission cantonale des sites émet un préavis négatif et attribue au bâtiment une importance supracommunale.

Alors? Alors tout le monde s’en fout, la commune est souveraine. Dans le règlement communal de constructions homologué en 1988, l’article 96 demande l’établissement par la municipalité d’un inventaire complet non seulement de la zone de la vieille ville mais aussi et surtout des bâtiments isolés sis en dehors du périmètre de la vieille ville mais offrant des particularités d’ordre historique, architectural ou artistique. 

Or, cet inventaire n’existe pas. Voici la réponse de l’architecte Perraudin aux oppositions fort bien argumentées de Patrimoine suisse et de Sedunum Nostrum :

– le bâtiment qu’il est prévu de démolir n’est ni classé ni même répertorié comme bâtiment digne d’intérêt dans l’inventaire de la commune de Sion. Comment pourrait-il être classé dans un inventaire qui n’existe pas? Relevons aussi dans les arguments de l’architecte cette précision ubuesque :

le bâtiment est implanté en limite du domaine public, directement en bordure de la chaussée, en débordement de l’alignement de construction. (Ce qui est dangereux pour les enfants, précise-t-il). Ce bâtiment déborde un alignement de constructions et une chaussée qui lui sont postérieures. C’est fort, comme raisonnement.

On ne connaît même pas l’importance de ce bâtiment, faute d’études appropriées. Date-t-il du début du XVIIIe siècle? De la fin du XVIIe ? Toujours est-il qu’il a été rénové en 1741 après une crue de la Sionne (que l’architecte Perraudin parviendra très certainement à dompter efficacement), comme le précise une plaque apposée dans le vestibule du premier étage au numéro 11.

La sous-commission cantonale des sites propose de surseoir aux constructions tant que l’inventaire des zones définies par l’ISOS n’a pas été effectué. C’est le bon sens.

Mais non. Quinze conseillers municipaux dansent la valse du pognon au bras de promoteurs sans scrupules, dans le déni le plus grossier du patrimoine de chacun.

C’est une honte.

Orgel

5 commentaires pour “Sion, capitale de l’ignorance”

  1. Rafael Matos-WasemNo Gravatar dit :

    Je félicite Orgel pour cet excellent article, engagé et fort bien documenté.
    Il faut certes densifier les communes urbaines, mais pas de n’importe quelle manière et en faisant fi des plus beaux témoignages du passé.
    L’argent et le « court-termisme » mènent le monde. Jusqu’à quand ?

  2. sardinaluileNo Gravatar dit :

    D’après cet article, la législation n’est tout simplement pas respectée. Dans ce cas, pourquoi ne pas engager une action en justice?? Sedunum nostrum, Pro Patria, un quidam téméraire – voire suicidaire – ou que sais-je pourrait porter plainte contre la commune de Sion ou son représentant officiel… Non?
    Maintenant, je ne connais pas l’efficacité réelle de nos organes juridiques ni la nature des risques officieux encourus.
    Des volontaires?

  3. OrgelNo Gravatar dit :

    Ce soir 07 avril au journal de 19.30 de la RTS un sujet de Flore Dussey sur la démolition programmée de tout le secteur du Vieux-Moulin à Sion.

  4. AlcazardNo Gravatar dit :

    Brillant reportage!
    Et qui nous a permis de mettre une tête sur Rafael Matos (un responsable?)
    Mais qui est cet archéologue dandy qui s’exprime avec tant de panache?

  5. Le passant ordinaireNo Gravatar dit :

    Sion est en passe de devenir aussi laide que le centre de Sierre, ville où il y a une bonne dizaine d’année le centre s’était déplacé au lieu-dit « La potence ».
    Les idiots de service avaient réussi à situer l’arrivée d’une étape du tour de Romandie sur la place de parc d’une grande surface.

    Merci de mettre le doigt dans cette plaie qu’est la construction de cages à lapins au nord de la ville.